TELEPHONE MAISON
Les extra-terrestres : en voilà un sujet qui interroge, fascine et passionne l’humain depuis longtemps, peut-être même depuis toujours. On les imaginait tout vert ou en poulpe, ou les deux en même temps pourquoi pas ! Ils traverseraient l’espace à bord de soucoupes volantes. Nous les attendions le nez pointé en scrutant le ciel. Mais ce n’est pas par là qu’ils ont fait leur entrée dans notre réalité. C’est dans nos maisons, derrière la porte fermée de leur chambre, que nous les découvrons! Non pas traversant le ciel dans un vaisseau spatial mais allongés sur leur lit, un téléphone à la main, connectés au Cloud ! Les Enfants Téléphone sont, à plus d’un titre, les véritables extra terrestres pour leurs parents, grands parents et arrières grand-parents !
Enfants de leurs parents bien sûr, ils sont aussi les enfants du numérique. De cette technologie galopante, ils maitrisent tous les codes, les langages, les raisonnements mêmes. Ils vivent autant, si ce n’est plus, du coté du virtuel que du réel. On les entend d’ailleurs souvent utiliser cette expression IRL (phonétiquement, on entend irréel alors qu’en réalité cela signifie In Real Life) pour préciser qu’ils parlent là de quelque chose qui est dans la vie réelle. Aujourd’hui la distinction est nécessaire car il existe bel et bien deux mondes : le réel et le numérique. Le voyage se fait à bord d’un smatphone. Il en existe de plusieurs modèles, de plus en plus sophistiqués, de plus en plus performants. De véritables bolides qui traversent l’espace géographique et l’espace temps comme une sorte de téléportation. Les E.T sont à la fois en famille et ailleurs, connectés à un objet qui les garde à la maison mais qui les emmène aussi loin, trop loin de chez eux et de leurs parents. Un peu à la façon d’un transformer, ils revêtent des skins (avatars) aux multiples pouvoirs pour incarner des personnages de jeu. Ils connaissent bien mieux les univers virtuels que le monde dans lequel ils sont censés vivre. Cette réalité là, la vie réelle, le monde, effraie les adolescents de par ses contraintes, ses limites et ses frustrations. Alors ils se réfugient dans leurs espaces numériques. La seule chose qui les motive est de rentrer à la maison directement après les cours et de s’enfermer dans leurs chambres et dans leurs écrans : un intérieur à l’intérieur d’un intérieur, pendant 5 heures par jour en moyenne. Depuis leur lit ou leurs fauteuils de gamer, ils engloutissent du contenu numérique comme un bébé ingurgiterait son biberon. Ils se remplissent pour combler le vide, l’ennui comme ils disent. Car s’il est un mot qui revient très souvent dans leurs propos quand à leur besoin d’utilisation des écrans, c’est bien celui là : ennui. Nos jeunes s’ennuient dans une vie où il faut faire des efforts et ne pas maitriser le temps qui la rythme. La frustration leur est insupportable. Tant qu’à être perdu dans le monde réel, ils choisissent d’aller plutôt s’égarer dans des univers pixelisés qu’ils dirigent depuis leur écran tactile ou leurs manettes.
A leur décharge, les E.T ont pour la grande majorité des parents eux-mêmes très utilisateurs d’écrans. Pour leur plaisir et pour le travail aussi. Le télétravail montre aux E.T le spectacle de parents scotchés durant des heures, jours et parfois nuits, ou en tout cas jusqu’à pas d’heures, devant leurs écrans. Des parents serviables et corvéables à merci. Des esclaves de leur écran pour la bonne raison de travailler. Aujourd’hui, les jeunes revendiquent au même titre que leurs parents, l’accès aux écrans. Les parents sont à cours d’arguments, se sentant coupables et impuissants de présenter un tel exemple à leurs enfants.
Enfants du numérique, il est incontestable que nos jeunes maitrisent les écrans mieux que leurs ainés. Ils excellent même. De cette aptitude naturelle chez eux, ils revendiquent auprès de leurs parents le droit à l’utilisation de leurs écrans sans limites. Ils ne comprennent pas pourquoi se voir fixer un temps restreint, un contrôle parental alors qu’ils sont les Maîtres des écrans et que leurs parents de médiocres connaisseurs. De cette conviction là, les E.T ont pris le pouvoir à la maison, mettant en échec toute tentative parental de limitation. Ils savent réinitialiser les box ce qui leur permet de faire sauter les programmations de restriction, déverrouiller les codes secrets. Ils ne font pas l’économie du chantage à ne plus se rendre au collège, au lycée en cas de suppression de leur téléphone ou de casser des objets dans la maison, d’insulter leurs parents ni d’avoir des gestes violents. Le terrorisme extra terrestre est entré dans les foyers.
Il est temps de se ressaisir ! Qui achète le téléphone? Qui paie le forfait ? Qui paie l’abonnement internet ? Certainement pas les enfants. Ce sont les parents qui sont les propriétaires de cet objet et de ses fonctionnalités. Comment est il possible alors que ce soit les enfants qui dictent les règles et se posent en maitres, réclamant leur téléphone comme un dû ? Ou encore comment comprendre l’amputation dont les adolescents accusent leurs parents lorsqu’on leur retire leur écran alors qu’ils ont ont, heureusement pour la grande majorité la chance d’être des jeunes en bonne santé et pourvu de tous leurs membres ? Il est temps et plus qu’urgent de remettre de la réalité et de la raison au sein de nos foyers car tout cela, au delà de la situation d’addiction, laisse entendre une grande problématique de parentalité, de relation et position parents-enfants.
Rappelons aussi que le téléphone portable est en général remis à l’enfant par le parent pour son entrée en 6ème, moment où il acquiert l’autonomie de se déplacer seul pour aller et rentrer du collège. Le parent est ainsi rassuré d’être connecté à son enfant et de savoir où il est en temps réel. Les adolescents ne trainent plus en bande après les cours mais errent pour jouer en réseau sur leur écran depuis la maison. Les parents ne perdent plus leurs enfants dans la rue mais dans leur maison! A une pièce près, ils n’ont jamais été si loin d’eux. La question n’est pas comment les faire rentrer chez eux mais comment les en faire sortir pour retrouver la réalité.
Karine de Leusse Schirtzinger