ECRANS : PREVENIR N'EST PAS TRAITER ! la déferlante des cataplasmes sur des jambes de bois
Le sujet des écrans est aujourd’hui non seulement au cœur de nos vies mais par- malheureuse- conséquence aussi de nos problèmes ; tous concernés, tous touchés, à des niveaux différents. Les petits pour les dégâts que le numérique vient provoquer sur leur développement psychique, comportemental, intellectuel et physique. Les adolescents, pour les maintenir à la maison, sans direction, avec une capacité de frustration et d’effort quasiment réduite à zéro. Les parents pour la perte de leur position et autorité parentales en faveur d’un écran roi au sein de leur foyer. Les adultes, de façon générale, pour la dépendance totale, à utiliser leurs écrans en tout lieu, toute occasion, toute démarche administrative, toute activité personnelle ou professionnelle. Les séniors, discriminés par l’illectronisme, dépendants de tiers qui acceptent de leur apporter une aide numérique pour affronter un monde digitalisé. Sans maitrise de l’écran, force est de constater qu’il y a « peu », si ce n’est « pas », de chance de pouvoir vivre ou survivre dans notre société reliée en tout point au et par le numérique.
Les mots dépendance, addiction, surexposition et surconsommation titrent de plus en plus les articles et les reportages. Temples des solutions magiques, ils proposent des remèdes pour réduire le temps d’écran, le limiter, conscrire les espaces déconseillés et contenus à réguler. Si ces conseils et ces préventions sont justes et très nécessaires, s’ils résonnent comme d’indispensables sonnettes d’alarme, offrent-ils pour autant une réponse suffisante pour traiter la problématique qui concerne aujourd’hui chaque individu ? Malheureusement non ! Le sujet ne se résume pas à une question autour de l’addiction à l’objet. Il s’agit en fait d’une dépendance au soulagement qu’il procure à l’humain face à ses angoisses profondes ; la vie, la mort, le temps qui passe, la vie unique, devoir composer avec un corps, avec sa personne, faire des choix, ne pas avoir de supers pouvoirs et donc d’être limité par le principe de réalité, être seul…Toutes ces peurs sont présentes en nous. Nous en prenons conscience dès la petite enfance et faisons de notre mieux en grandissant, et jour après jour, pour les gérer, les calmer afin de ne pas être – trop - empêchés de mener notre unique vie comme nous le désirons et pouvons. Ces peurs ont aussi une fonction, celle de nous maintenir en sécurité face aux dangers réels de la vie. Elles sont préventives et nous alertent des situations qui mettraient notre existence en péril. Nos angoisses sont donc directement liées au principe de réalité et sont toujours plus ou moins présentes, d’une façon ou d’une autre, dans notre psychisme.
Les fonctionnalités des écrans modifient notre rapport à la réalité. La voilà aujourd'hui augmentée, avec une atemporalité possible, des identités multiples, modifiées, un espace numérique où tout est immédiat, sans limites, sans frustrations et inconséquent. Nous pouvons avoir le super pouvoir d’être invisible, partout et nul part. De disparaitre sans être mort. D’être là sans être là. Les écrans sont absolument le pendant à toutes nos peurs et à toutes nos limites. Ils sont un soulagement à l’angoisse archaïque, une réponse immédiate aux frustrations et aux limites. Ils sont le bisou magique ou le câlin rassurants et apaisants d’un parent quand l’individu tout petit croit encore que maman et papa peuvent tout résoudre, tout empêcher.
Voilà pourquoi les écrans ont un tel pouvoir sur l’individu. Ils offrent la possibilité de retrouver cette sensation ; « quelqu’un » va nous sauver de tout et surtout du pire. Nous retombons alors en enfance avec un parent, Big Mother, qui nous biberonne de son flux de datas permanent et intarissable. Dans une immédiateté propre au désir du bébé qui ne souffre pas d’attendre pour satisfaire le besoin et ressentir le plaisir du consommable. Une Big Mother qui nous fait voir le monde comme nous voudrions qu’il soit, sans limite et sans conséquence qui viendraient réduire notre existence. Toutes nos peurs sont prises en charge par le l’industrie du numérique. Nous vivons reliés, jour et nuit, à une perfusion d’anxiolytiques et d’anti-dépresseurs. Mais on sait bien que lorsqu’une porte se ferme, une autre forcément s’ouvre. Une nouvelle angoisse est apparue, elle est terrible : celle d’être coupé de l’écran, celle de le perdre. Toute notre vie étant contenue dans cet objet magique, que faire ? qui être… quand il n’est plus en notre possession ? Il contient ce que nous avons de plus précieux, de plus vitale : notre existence. C’est pour cette raison que nous sommes connectés en permanence, comme une obligation d’avoir un second cœur avec nous, contre nous, qui maintient notre vie dans la société. idée : (qui ne nous maintient pas « en vie » mais « dans la vie ».)
Nous voilà tous équipés d’une petite télécommande de vie, telle une baguette magique et nous dirigeons ainsi notre monde. Enfin, c’est ce que nous croyons ! La réalité est que nous partageons absolument tout avec la toile ; comme dans un partage de connexion et d’écran. Nous avons laissé l’accès à toutes nos données. Ces dernières portent d’ailleurs bien leur nom car nous devons en effet tout donner. C’est un échange de procédés : la liberté contre la sécurité. A condition bien sûr d’être toujours relié à notre objet.
Concernant l’addiction aux écrans, je ne crois pas qu’elle se caractérise uniquement par un principe de dépendance inhérent aux caractéristiques dopaminergiques et comportementales liées à l’objet. Si tel était le cas, est-ce que réellement la société nous imposerait cette utilisation excessive dans tous les domaines comme le travail, l’administration, l’éducation etc. ? Nous forcerait-elle à consommer une substance toxique comme cela pourrait être avec le tabac ou l’alcool, ou les jeux d’argent par exemple ? Évidement que non, cela n’a pas de sens. Ceux qui fument le font de leur propre initiative et non parce qu’ils répondent à une obligation de devoir allumer une cigarette pour remplir un formulaire administratif ou consulter son courrier.
Je soutiens l’explication que notre dépendance aux écrans est directement liée à la dépendance au soulagement des angoisses de vie et de mort qui nous caractérisent en tant qu’humain ; dans un monde qui nous abreuve d’informations anxiogènes. Pour reprendre le dessus, il est essentiel d’en connaitre les dessous. Traiter la forme de la dépendance aux écrans ne fonctionne qu’en comprenant bien le fond.
Je vous propose une série d’articles à venir dans lesquels nous analyserons les ressorts que le numérique utilise pour répondre et agir sur nos angoisses majeures comme, par exemple, celle de séparation, de frustration et de temps.
Karine de Leusse Schirtzinger